Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/112

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gens, il y a même des personnes naïves qui disent sérieusement que les pauvres nous sont très reconnaissants parce que nous les nourrissons par ce luxe, mais les pauvres ne sont pas fous, ils ont beau être pauvres, ils sont aussi raisonnables que nous ; quand nous apprenons qu’un tel a perdu au jeu dix ou vingt mille roubles, la première pensée qui nous vient est celle-ci : quel homme vil, dégoûtant, il a dépensé sans utilité tant d’argent, et moi j’aurais si bien pu l’employer pour des constructions qui sont nécessaires depuis longtemps pour l’amélioration de mes biens, etc. Les pauvres raisonnent de même quand ils voient des richesses dépensées follement et ils raisonnent avec d’autant plus d’insistance que cet argent leur est nécessaire non pour leur fantaisie, mais pour la satisfaction de besoins urgents dont ils sont souvent affligés. Nous nous trompons beaucoup en pensant que les pauvres peuvent raisonner ainsi et regarder d’un œil indifférent le luxe qui les entoure. Ils n’ont jamais reconnu et ne reconnaîtront jamais qu’il est juste que les uns ne fassent jamais rien et que d’autres aient toujours faim et travaillent. D’abord ils s’en étonnent et s’en offensent ; ensuite, en regardant bien et en voyant que cet ordre est reconnu loyal, ils tâchent à s’affranchir eux aussi du travail et à prendre part à la fête. Les uns réussissent et à leur tour vivent dans une fête incessante ; d’autres y arrivent peu à peu ; les troisièmes