Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/41

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ma vie et de chercher une nouvelle voie. C’est ce dont j’avais peur, inconsciemment. Je ne me fiai pas à la voix intérieure et continuai l’œuvre commencée.

Je donnai à imprimer mon article[1], je le lus après, en épreuves, à l’Hôtel-de-Ville. Je le lus en rougissant jusqu’aux larmes et, en balbutiant tant, que j’en étais gêné. Je vis que mes auditeurs ne l’étaient pas moins.

Après avoir terminé ma lecture, je demandai si ceux qui dirigeaient le recensement acceptaient ma proposition de garder leurs places pour être intermédiaires entre la société et les besogneux. Il se fit un silence gênant. Ensuite deux orateurs eurent la parole. Leurs discours parurent délivrer l’auditoire de la gêne causée par ma proposition. On m’exprima de la sympathie, mais on me montra combien peu pratique était l’idée encouragée par tous. Tous se sentirent soulagés. Mais après, désirant à tout prix atteindre mon but, je demandai aux organisateurs en particulier, s’ils consentaient, au cours du recensement, à étudier la misère et à garder leurs places pour être intermédiaires entre les pauvres et les riches ; tous se sentirent de nouveau gênés. Leurs regards semblaient me dire : « Par respect pour toi, on a étouffé ta sottise, et tu la sors de nouveau ! » Telle était l’expression de

  1. Sur le recensement à Moscou, 1882, voir l’appendice.