Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/72

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nous répondit nettement qu’elle était une fille publique. Elle ne dit pas, prostituée ; seul le maître du logis employait ce terrible mot.

La supposition qu’elle était mère me donna l’idée de la tirer de cette situation. Je demandai :

— C’est votre enfant ?

— Non, c’est l’enfant de cette femme que voici.

— Pourquoi est-ce vous qui le bercez ?

— Elle me l’a demandé, elle se meurt.

Ma supposition n’était pas exacte, cependant, je continuai de causer avec elle sur le même ton. Je me mis à l’interroger sur elle, sur les causes qui l’avaient amenée à une telle situation. Elle me raconta volontiers et simplement son histoire. C’était une petite bourgeoise de Moscou, la fille d’un ouvrier de fabrique. Restée orpheline, une tante la prit chez elle. C’est de là qu’elle partit pour se vendre au cabaret ; la tante est déjà morte. Quand je lui demandai si elle ne désirait pas changer de vie, ma question, visiblement, ne l’intéressa point. Comment peut-on s’intéresser à une chose tout à fait impossible ! Elle ricana et dit : « Oui, mais qui me prendra avec la carte ? »

— Mais si l’on vous trouvait une place de cuisinière quelque part ? dis-je.

Cette idée me venait parce que c’était une femme forte, blonde au visage rond et bébête ; les cuisinières sont généralement ainsi. Évidemment mes paroles ne lui plurent pas. Elle répéta :