Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/51

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nant le coq était dépecé, et par endroits les morceaux étaient couverts de duvet. Après la soupe on servit le même coq, avec son duvet flambé, puis des gâteaux de fromage blanc très beurrés et sucrés. Tout cela était peu engageant, mais Nekhludov mangeait sans même s’en apercevoir, tout entier à la pensée du nouveau projet, qui avait subitement dissipé le malaise qu’il avait rapporté de sa promenade dans le village.

Par la porte entre-bâillée, la femme du gérant surveillait le service de la jeune paysanne aux boucles d’oreilles, et le gérant, tout fier des talents culinaires de son épouse, s’épanouissait de plus en plus dans son sourire.

Après le dîner, Nekhludov, à grand’peine, obligea le gérant à s’asseoir : il voulait contrôler ses propres idées et, en même temps, communiquer à quelqu’un ce qui le préoccupait si fort ; il lui fit donc part de son projet d’abandonner ses terres aux paysans, et lui demanda son avis. Le gérant sourit comme s’il pensait tout cela depuis longtemps et qu’il fût heureux de l’entendre exprimer, alors qu’en réalité il n’avait rien compris, et cela, non pas que Nekhludov se fut mal expliqué, mais parce qu’il le voyait renoncer à son intérêt personnel en vue de l’intérêt des autres. Le gérant était si convaincu que tout homme est incapable de s’occuper d’autre chose que de son propre intérêt au détriment de son prochain, qu’il croyait avoir mal com-