Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/189

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maigre, au nez long, sec, avec de longues moustaches qui se continuaient jusqu’aux joues, taillait la banque avec ses doigts blancs, secs aussi, dont l’un était orné d’une bague d’or à blason. Il jetait tout droit, sans précision, évidemment ému, mais affectant la négligence. Près de lui, à droite, un major grisonnant s’appuyait sur le coude, et feignant le sang-froid, jouait par cinquante kopeks et payait aussitôt. À gauche, un officier rouge au visage en sueur était assis sur la pointe des pieds, et s’efforcait de sourire et de plaisanter. Quand on battait ses cartes, il remuait sans cesse la main dans la poche vide de son pantalon. Il jouait gros jeu, mais évidemment il ne jouait déjà plus argent comptant, c’est précisément ce qui ennuyait le joli brun. Dans la salle, tenant à la main une grosse liasse de billets de banque, marchait un officier tout chauve au nez énorme, la bouche grande, maigre et pâle. Il mettait toujours : « Va, banque », argent comptant et gagnait.

Kozeltzov prit de l’eau-de-vie et s’assit près des joueurs.

— Voyons, pontez, Mikhaïl Sémionitch : — lui dit celui qui taillait la banque, — je pense que vous avez apporté une masse d’argent.

— Où l’aurais-je pris ? Au contraire, j’ai dépensé le dernier en ville.

— Ta, ta, on vous croira. Vous avez sûrement tapé quelqu’un à Sinferopol.