Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/191

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mura le major qui gagnait huit roubles et quelque chose. J’ai perdu et j’ai payé déjà plus de vingt roubles, et quand je gagne, je ne peux rien recevoir.

— Où donc prendrais-je l’argent pour payer, quand il n’y en a pas sur la table, — dit le banquier.

— Je ne veux rien savoir, — s’écria le major en se levant. — J’ai joué avec vous et pas avec eux.

L’officier en sueur tout à coup s’échauffait.

— Je dis que je paierai demain. Comment donc osez-vous m’offenser ?

— Je dis ce que je veux. On n’agit pas ainsi. Voilà ! s’écria le major.

— Voyons, voyons, Fedor Fedorovitch ! dirent-ils tous, en calmant le major.

Mais baissons plus vite le voile sur cette scène. Demain, peut-être même aujourd’hui, chacun de ces hommes ira joyeusement et fièrement à la rencontre de la mort et mourra avec bravoure et fermeté ; mais la seule joie de la vie, dans ces conditions de vie qui terrifient l’imagination la plus froide, qui n’ont rien d’humain et pas même l’espoir d’en sortir, la seule joie c’est l’oubli, l’anéantissement de la conscience du réel. Au fond de l’âme de chacun gît cette noble étincelle qui fera de lui un héros, mais cette étincelle se lasse de briller ; vienne le moment fatal, elle jaillira comme une flamme et éclairera de grandes actions.