Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/226

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la fusillade battait son plein. Les balles ne sifflaient pas isolément comme celles des carabines, mais par essaims, comme une compagnie d’oiseaux d’automne qui volent au-dessus de la tête. Tout l’espace où hier se trouvait son bataillon était couvert de fumée. On entendait les cris isolés et les exclamations. Des soldats blessés et non blessés se trouvaient en foule à sa rencontre. Ayant fait encore trente pas, il aperçut sa compagnie qui se serrait auprès des murs.

— La batterie de Schwartz est occupée ! — dit un jeune officier. — Tout est perdu !

— Blague ! fit-il avec colère. Et tirant son petit sabre émoussé, il cria :

— En avant, mes enfants ! hourra !

La voix était sonore et haute, elle excita Kozeltzov lui-même. Il courut en avant le long du parapet ; cinquante soldats le suivaient en criant. Il sortit du parapet en rase campagne. Les balles tombaient littéralement comme grêle. Deux l’éraflèrent. Mais où tombèrent-elles, que lui avaient-elles fait, était-il contusionné, blessé ? il n’avait pas le temps de s’en rendre compte. En avant, dans les fumées, il apercevait déjà les uniformes bleus, les pantalons rouges et entendait des cris qui n’étaient pas russes. Un Français, sur le parapet, agitait son épée et criait quelque chose. Kozeltzov était persuadé qu’on le tuerait et cela précisément excitait son courage. Il courait toujours en avant et en avant.