Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/348

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l’instruction et le talent héréditaire de sa nature, ses qualités distinctives étaient l’amour des convenances et des commodités de la vie, son regard pratique sur les hommes et les circonstances, la prudence et la persévérance. Le jeune comte faisait admirablement son service : à vingt-trois ans il était déjà lieutenant… Au début des actions militaires, il avait jugé qu’il serait plus avantageux pour l’avancement de passer dans l’armée active, il entra comme capitaine de cavalerie au régiment des hussards, et en effet, reçut bientôt un escadron.

Au mois de mai 1848, le régiment des hussards S*** traversait la province de K***, et ce même escadron que commandait le jeune comte Tourbine devait passer la nuit à Morozovka, village qui appartenait à Anna Fédorovna. Anna Fédorovna vivait encore, mais elle était si peu jeune qu’elle-même en convenait, ce qui signifie beaucoup pour une femme. Elle avait grossi beaucoup, ce qui, dit-on, rajeunit les femmes, mais sur cette chair blanche, empâtée, on apercevait de grosses rides molles. Maintenant elle n’allait jamais en ville, même montait difficilement en voiture, mais était toujours aussi naïve et aussi sotte ; on peut dire la vérité, maintenant qu’elle ne le rachetait pas par sa beauté. Avec elle vivait sa fille Lisa, une belle Russe de la campagne, de vingt-trois ans, et son frère que nous connaissons, le cavalier, qui, grâce à sa bonhomie, avait mangé tous ses domaines et