Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/407

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pas penser. Mais comment ne pas penser : tout à l’heure c’était lui, bientôt ce sera moi ? Comment ? Pourquoi ? Comment, moi, ce même moi, si bon, si aimable, si cher non seulement à ma vieille bonne, non seulement à ma mère, non seulement à « elle » mais à tant d’autres, presqu’à tous les hommes ? En route, encore au relais, comme ils m’aimaient, comme nous avons ri, comme ils étaient enchantés de moi…, ils m’ont fait présent d’une blague à tabac ! Et tout d’un coup, ici, non seulement pas de blague à tabac, mais personne ne s’intéresse à savoir comment et quand on mutilera tout mon corps : ces jambes, ces bras, quand on me tuera comme on a tué celui-ci. Serai-je aujourd’hui une des victimes ? Cela n’intéresse personne : au contraire, cela semble désirable.

Oui, moi, précisément moi, ici je ne suis nécessaire à personne, et alors pourquoi suis-je ici ? — se demande-t-il. — Et il ne trouve pas de réponse. Si du moins quelqu’un m’expliquait pourquoi tout cela ? Ou à défaut d’explication, si l’on disait quelque chose d’encourageant ; mais jamais personne ne dit rien de pareil, et il semble même qu’on ne peut le dire, que ce serait honteux si quelqu’un disait une telle chose. C’est pourquoi personne ne la dit. Alors, pourquoi, pourquoi suis-je ici ? — s’écrie le jeune homme. — Et il veut pleurer. Il n’y a pas de réponse, sauf l’angoisse mala-