Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/206

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Eh bien, va ! — Il lui frappa sur l’épaule et derrière elle referma doucement la porte. La princesse Marie retourna dans sa chambre avec une expression triste, effrayée, qui la quittait rarement et rendait encore plus laid son visage maladif et pas joli. Elle s’assit devant son bureau plein de miniatures et encombré de cahiers et de livres. La princesse était aussi désordonnée que son père avait de l’ordre. Elle posa le cahier de géométrie et avec hâte décacheta la lettre. La lettre était de sa plus intime amie d’enfance, de cette même Julie Karaguina qui était à la fête des Rostov.

Julie écrivait :


« Chère et excellente amie, quelle chose terrible et effrayante que l’absence ! J’ai beau me dire que la moitié de mon existence et de mon bonheur est en vous, que malgré la distance qui nous sépare, nos cœurs sont unis par des liens indissolubles, le mien se révolte contre la destinée, et je ne puis, malgré les plaisirs et les distractions qui m’entourent, vaincre une certaine tristesse cachée que je ressens au fond du cœur depuis notre séparation. Pourquoi ne sommes-nous pas réunies comme cet été, dans notre grand cabinet, sur le canapé bleu, le canapé à confidences ? Pourquoi ne puis-je, comme il y a trois mois, puiser de nouvelles forces morales dans votre regard si doux, si calme et si pénétrant, regard que j’aimais tant