Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/69

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— Je trouve drôle — dit Pierre — que vous vous considériez vous-même comme incapable, et jugiez votre vie gâtée. Mais chez vous, tout est l’avenir. Et vous…

Il n’acheva pas ce vous, mais son ton indiquait déjà quel grand cas il faisait de son ami et combien il attendait de lui en l’avenir.

— « Comment peut-il dire tout cela ? » — pensait Pierre.

Pierre considérait le prince André comme le modèle de toutes les perfections, précisément parce que le prince André unissait au plus haut degré toutes les qualités qui lui manquaient à lui, et qui pouvaient se résumer assez exactement par cette conception : la force de volonté. Pierre s’étonnait toujours de la capacité du prince André, de sa conduite avec les hommes de toutes sortes, de sa mémoire extraordinaire, de tout ce qu’il avait lu (il avait lu tout, savait tout, avait une idée sur tout) et en particulier de sa facilité à travailler et à apprendre. Et si, assez souvent, Pierre avait été frappé, chez le prince André, du manque de capacité pour la philosophie contemplatrice (à quoi Pierre était surtout enclin), il n’y voyait pas un défaut, mais une force.

Dans les relations les meilleures, les plus amicales, les plus simples, la flatterie ou la louange sont aussi nécessaires que la graisse l’est aux roues pour qu’elles tournent.