Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

yeux fâchés bien qu’endormis. Lui, dans sa robe de chambre en cotonnade bariolée, serrée par une ceinture de même étoffe, avec sa calotte de tricot rouge à gland, et chaussé de bottes souples en peau de bouc, continuait tranquillement à marcher le long de la muraille, tout en visant et en tapant.

« C’est vrai », pensais-je, « que je suis petit, mais pourquoi me dérange-t-il ? Pourquoi ne va-t-il pas tuer les mouches au-dessus du lit de Volodia ? Il y en a pourtant pas mal ! Mais non, Volodia est plus grand que moi, je suis le plus petit de tous : c’est pour cela qu’il me tourmente. Il passe toute sa vie », murmurais-je, « à chercher ce qu’il pourrait me faire de désagréable. Il voit très bien qu’il m’a réveillé et qu’il m’a fait peur, mais il fait semblant de ne pas s’en apercevoir… le méchant homme ! Et sa robe de chambre, et sa calotte avec ce gland, comme c’est laid ! »

Pendant que j’exhalais ainsi, en moi-même, mon dépit contre Karl Ivanovitch, celui-ci s’approcha de son lit, regarda la montre qui était placée au-dessus du lit dans une petite pantoufle brodée de perles, accrocha le chasse-mouches à un clou et se tourna vers nous, paraissant être d’excellente humeur.

Auf, Kinder, auf !… s’ist Zeit. Die Mutter ist schon im Saal[1], — cria-t-il de sa bonne voix alle-

  1. Allons, enfants, allons !… il est temps. Votre maman est déjà au salon.