Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, cela ne peut être, dit-il, de même qu’il ne peut arriver que, dans un chargement de pois, deux pois marqués d’un signe spécial viennent se mettre l’un à côté de l’autre. De plus, ce n’est pas seulement une probabilité mais une certitude que la satiété viendra. Aimer quelqu’un ou quelqu’une toute sa vie, c’est comme qui dirait qu’une chandelle peut brûler éternellement.

— Mais vous parlez de l’amour physique. N’admettez-vous pas un amour fondé sur une conformité d’idéal, sur une affinité spirituelle ? dit la dame.

— L’affinité spirituelle ! La conformité d’idéal ! répéta-t-il en émettant le son qui lui était particulier. Mais dans ce cas il n’est pas nécessaire de coucher ensemble (excusez ma brutalité). Conformité d’idéal et les deux êtres couchent ensemble ! dit-il, et il se mit à rire nerveusement.

— Permettez, objecta l’avocat, les faits contredisent vos paroles. Nous voyons que le mariage existe, que toute l’humanité, ou du moins la plus grande partie de l’humanité, mène la vie conjugale, et que beaucoup d’époux achèvent honnêtement une longue vie ensemble.

Le monsieur aux cheveux blancs sourit de nouveau.

— Vous dites que le mariage se fonde sur l’amour, et quand j’émets un doute sur l’existence d’un autre amour que l’amour sensuel, vous me