Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/320

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aussi. Elle trouvait sans doute qu’elle avait toujours raison contre moi, et moi, quand je discutais avec elle, j’étais à mes yeux un vrai saint. En tête-à-tête, nous étions presque condamnés au silence, ou à des conversations que, j’en suis sûr, des animaux pourraient avoir entre eux : « Quelle heure est-il ? Il est temps de se coucher. Qu’y a-t-il pour dîner aujourd’hui ? Où irons-nous ? Qu’y a-t-il dans le journal ? Il faut envoyer chercher le médecin. Marie a mal à la gorge ». Il suffisait de sortir de ce cercle, étroit à l’extrême, de la conversation, pour que l’irritation éclatât. Nous nous chicanions à propos du café, de la nappe, de la voiture, des cartes, pour des futilités enfin qui n’avaient d’importance ni pour l’un ni pour l’autre. Quant à moi, du moins, j’étais toujours violemment excité contre elle. Je regardais parfois comment elle versait le thé, comment elle balançait son pied, comment elle portait sa cuiller à sa bouche, comment elle soufflait sur les liquides chauds ou les aspirait et je la détestais pour tout cela comme pour de mauvaises actions. Je ne remarquais pas alors que ces périodes d’irritation alternaient très régulièrement avec les périodes de ce que nous appelions l’amour. Chacune de celles-ci était suivie de celles-là.

Une période d’amour ardente était suivie d’une longue période de colère ; une manifestation plus faible de l’amour était suivie d’une période d’irri-