Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/321

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tation plus faible, et nous ne comprenions pas alors que cet amour et cette haine étaient le même sentiment animal, sous deux faces opposées. C’eût été terrible de vivre ainsi si nous avions compris notre situation. Mais nous ne la comprenions pas et ne la voyions pas. C’est le salut et le supplice de l’homme que, lorsqu’il vit irrégulièrement, il peut s’illusionner pour ne pas voir les misères de sa situation. Ainsi fîmes-nous.

Elle cherchait à s’oublier en des occupations absorbantes, hâtives, dans les soins du ménage, de l’ameublement, de ses costumes et de ceux des enfants, de l’instruction de ceux-ci et de leur santé. Chez moi, c’était l’ivresse : l’ivresse du service, de la chasse, des cartes. Nous étions toujours occupés. Nous sentions tous deux que plus nous étions occupés, plus nous pouvions être méchants l’un pour l’autre. « C’est bien à toi de faire des grimaces, pensais-je, tu m’as fait des scènes toute la nuit, et moi, j’ai une séance demain. » « Cela t’est bien égal, non seulement pensait-elle mais disait-elle, mais moi je n’ai pas dormi de la nuit à cause de l’enfant. » Ces nouvelles théories de l’hypnotisme, des maladies mentales, de l’hystérie, tout cela n’est pas une simple bêtise, c’est une bêtise dangereuse et mauvaise. Charcot, j’en suis sûr, aurait dit que ma femme était hystérique, et moi un être anormal, et il eût voulu nous soigner. Mais il n’y avait en nous rien à soigner.