Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/134

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cette humiliation devant sa sœur, à lui, dont il faudrait subir les raisonnements et les conseils.

Elle s’attendait à chaque minute à voir entrer sa belle-sœur, et suivait de l’œil la pendule ; mais, comme il arrive souvent en pareil cas, elle s’absorba, n’entendit pas le coup de sonnette, et lorsque des pas légers et le frôlement d’une robe près de la porte lui firent lever la tête, son visage fatigué exprima l’étonnement et non le plaisir.

« Comment, tu es déjà arrivée ? s’écria-t-elle en allant au-devant d’Anna pour l’embrasser.

— Dolly, je suis bien heureuse de te revoir !

— Moi aussi, j’en suis heureuse », répondit Dolly avec un faible sourire, en cherchant à deviner d’après l’expression du visage d’Anna ce qu’elle pouvait avoir appris. « Elle sait tout », pensa-t-elle en remarquant la compassion qui se peignait sur ses traits. « Viens que je te conduise à ta chambre, continua-t-elle en cherchant à éloigner le moment d’une explication.

— Est-ce là Grisha ? Mon Dieu qu’il a grandi, dit Anna en embrassant l’enfant sans quitter des yeux Dolly ; puis elle ajouta en rougissant : permets-moi de rester ici. »

Elle ôta son châle et, secouant la tête d’un geste gracieux, débarrassa ses cheveux noirs frisés de son chapeau, qui s’y était accroché.

« Que tu es brillante de bonheur et de santé, dit Dolly presque avec envie.

— Moi ? oui, répondit Anna. Mon Dieu, Tania,