Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/152

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blasée, et ne connaissait pas tous ces visages au point d’en être lasse. Elle remarqua donc le groupe qui s’était formé dans l’angle de la salle, à gauche ; c’est là que se réunissait l’élite de la société : la belle Lydie, la femme de Korsunsky, outrageusement décolletée, la maîtresse de la maison, le chauve Krivine, qu’on voyait toujours avec la société la plus brillante. Bientôt Kitty aperçut Stiva, puis la taille élégante d’Anna. Lui aussi était là ; Kitty ne l’avait pas revu depuis la soirée de la déclaration de Levine. Ses yeux le virent de loin, et elle remarqua même qu’il la regardait.

« Faisons-nous encore un tour ? Vous n’êtes pas fatiguée ? demanda Korsunsky légèrement essoufflé.

— Non, merci.

— Où voulez-vous que je vous conduise ?

— Mme Karénine est là, il me semble : menez-moi de son côté.

— Où vous l’ordonnerez. »

Et Korsunsky, ralentissant le pas, mais valsant toujours, la dirigea vers le groupe de gauche, en disant sur sa route : « Pardon, mesdames ; pardon, mesdames. » Et, tournoyant adroitement dans ce flot de dentelles, de tulle et de rubans, il l’assit, après une dernière pirouette, qui rejeta sa robe sur les genoux de Krivine, et le dissimula sous un nuage de tulle, tout en découvrant deux petits souliers roses.

Korsunsky salua, se redressa d’un air dégagé, et offrit le bras à sa danseuse pour la mener auprès d’Anna.