Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tout cela m’est égal ! » répondit Kitty.

Elle était seule à savoir que, la veille, un homme qu’elle aimait peut-être avait été sacrifié par elle à cet ingrat.

La comtesse alla chercher Korsunsky, avec lequel elle devait danser le cotillon, et l’engagea à inviter Kitty.

Par bonheur pour Kitty, elle ne fut pas obligée de causer, son cavalier, en sa qualité de directeur, passant son temps à courir de l’un à l’autre et à organiser des figures ; Wronsky et Anna dansaient presque vis-à-vis d’elle ; Kitty les voyait tantôt de loin, tantôt de près, quand leur tour de danser revenait, et plus elle les regardait, plus elle sentait son malheur consommé. Ils étaient seuls, malgré la foule, et sur le visage de Wronsky, d’habitude si impassible, Kitty remarqua cette expression frappante d’humilité et de crainte qui fait penser à un chien intelligent quand il se sent coupable.

Anna souriait, il répondait à son sourire ; semblait-elle réfléchir, il devenait sérieux. Une force presque surnaturelle attirait les regards de Kitty sur Anna. Elle était séduisante avec sa robe noire, ses beaux bras couverts de bracelets, son cou élégant entouré de perles, ses cheveux noirs frisés et un peu en désordre. Les mouvements légers et gracieux de ses petits pieds, son beau visage animé, tout en elle était attrayant ; mais ce charme avait quelque chose de terrible et de cruel.

Kitty l’admirait plus encore qu’auparavant, tout