Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/197

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cune de ces démonstrations ne réussit, et n’empêcha Wronsky de le regarder avec le même intérêt que la lanterne. Le jeune homme, déjà mal disposé pour son voisin, se prit à le haïr en le voyant ignorer aussi complètement son existence.

Wronsky ne regardait et n’entendait rien ; il lui semblait être devenu un héros, non qu’il crût avoir déjà touché le cœur d’Anna, mais parce que la puissance du sentiment qu’il éprouvait le rendait fier et heureux.

Qu’adviendrait-il de tout cela ? Il n’en savait rien et n’y songeait même pas, mais il sentait que toutes ses forces, dispersées jusqu’ici, tendraient toutes maintenant, avec une terrible énergie, vers un seul et même but. En quittant son wagon à la station de Bologoï pour prendre un verre de soda, il avait aperçu Anna et, du premier mot, lui avait presque involontairement exprimé ce qu’il éprouvait. Il en était content ; elle savait tout maintenant, elle y songeait. Rentré dans son wagon, il reprit un à un ses moindres souvenirs, et son imagination lui peignit la possibilité d’un avenir qui bouleversa son cœur.

Arrivé à Pétersbourg, et malgré cette nuit d’insomnie, Wronsky se sentit frais et dispos comme en sortant d’un bain froid. Il s’arrêta près de son wagon pour la voir passer. « Je verrai encore une fois son visage, sa démarche, pensait-il en souriant involontairement ; elle dira peut-être un mot, me jettera un regard, un sourire. » Mais ce fut le mari qu’il