Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/212

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versation de Wronsky avec ses camarades… Ici nous vous avons marié. L’avez-vous amenée ?

— Non, baronne ; je suis né dans la bohème et j’y mourrai.

— Tant mieux, tant mieux ; donnez-moi la main. »

Et, sans le laisser partir, la baronne se mit à lui développer ses derniers plans d’existence, et à lui demander conseil, avec force plaisanteries.

« Il ne veut toujours pas m’autoriser au divorce ! Que dois-je faire ? (Il, c’était le mari.) Je compte lui intenter un procès. Qu’en pensez-vous ? Kamerowsky, surveillez donc le café, il déborde : vous voyez bien que je parle affaires ! Je compte donc lui intenter un procès pour avoir ma fortune. Comprenez-vous cette sottise ? Sous prétexte que je lui suis infidèle, il veut profiter de mon bien ! »

Wronsky s’amusait de ce bavardage, approuvait la baronne, lui donnait en riant des conseils, et reprenait le ton habituel de ses rapports avec cette catégorie de femmes.

Selon les idées de ce monde pétersbourgeois, l’humanité se divise en deux classes bien distinctes : la première, composée des gens insipides, sots, et surtout ridicules, qui s’imaginent qu’un mari doit vivre seulement avec la femme qu’il a épousée, que les jeunes filles doivent être pures, les femmes chastes, les hommes courageux, tempérants et fermes ; qu’il faut élever ses enfants, gagner sa vie, payer ses dettes et autres niaiseries de ce genre. Ce sont les démodés et les ennuyeux. Quant à la se-