Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/229

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« Il ne vaut pas le chagrin qu’il te cause, continua Daria Alexandrovna en allant droit au but.

— Parce qu’il m’a dédaignée, murmura Kitty d’une voix tremblante. Je t’en supplie, ne parlons pas de ce sujet.

— Qui t’a dit cela ? Je suis persuadée qu’il était amoureux de toi, qu’il l’est encore, mais…

— Rien ne m’exaspère comme ces condoléances », s’écria Kitty en s’emportant tout à coup. Elle se détourna en rougissant sur sa chaise, et de ses doigts agités elle tourmenta la boucle de sa ceinture.

Dolly connaissait ce geste habituel à sa sœur quand elle avait du chagrin. Elle la savait capable de dire des choses dures et désagréables dans un moment de vivacité, et cherchait à la calmer : mais il était déjà trop tard.

« Que veux-tu me faire comprendre ? continua vivement Kitty : que je me suis éprise d’un homme qui ne veut pas de moi, et que je meurs d’amour pour lui ? Et c’est ma sœur qui me dit cela, une sœur qui croit me montrer sa sympathie ! Je repousse cette pitié hypocrite !

— Kitty, tu es injuste.

— Pourquoi me tourmentes-tu ?

— Je n’en ai pas l’intention, je te vois triste. »

Kitty, dans son emportement, n’entendait rien.

« Je n’ai ni à m’affliger, ni à me consoler. Je suis trop fière pour aimer un homme qui ne m’aime pas.

— Ce n’est pas ce que je veux dire… Écoute, dis-