Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/230

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moi la vérité, ajouta Daria Alexandrovna en lui prenant la main : dis-moi si Levine t’a parlé ? »

Au nom de Levine, Kitty perdit tout empire sur elle-même ; elle sauta sur sa chaise, jeta par terre la boucle de sa ceinture qu’elle avait arrachée, et avec des gestes précipités s’écria : « À propos de quoi viens-tu me parler de Levine ? Je ne sais vraiment pas pourquoi on se plaît à me torturer ! J’ai déjà dit et je répète que je suis fière et incapable de faire jamais, "jamais", ce que tu as fait : revenir à un homme qui m’aurait trahie. Tu te résignes à cela, mais moi je ne le pourrais pas. »

En disant ces paroles, elle regarda sa sœur : Dolly baissait tristement la tête sans répondre ; mais Kitty, au lieu de quitter la chambre comme elle en avait eu l’intention, s’assit près de la porte, et cacha son visage dans son mouchoir.

Le silence se prolongea pendant quelques minutes. Dolly pensait à ses chagrins ; son humiliation, qu’elle ne sentait que trop, lui paraissait plus cruelle, rappelée ainsi par sa sœur. Jamais elle ne l’aurait crue capable d’être si dure ! Mais tout à coup elle entendit le frôlement d’une robe, un sanglot à peine contenu, et deux bras entourèrent son cou : Kitty était à genoux devant elle.

« Dolinka, je suis si malheureuse, pardonne-moi », murmura-t-elle ; et son joli visage couvert de larmes se cacha dans les jupes de Dolly.

Il fallait peut-être ces larmes pour ramener les deux sœurs à une entente complète ; pourtant, après