Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/235

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bles et n’alla plus que dans le grand monde. C’est là qu’elle éprouva la joie troublante de rencontrer Wronsky ; ils se voyaient surtout chez Betsy, née Wronsky et cousine germaine d’Alexis ; celui-ci d’ailleurs se trouvait partout où il pouvait entrevoir Anna et lui parler de son amour. Elle ne faisait aucune avance, mais son cœur, en l’apercevant, débordait du même sentiment de plénitude qui l’avait saisie la première fois près du wagon ; cette joie, elle le sentait, se trahissait dans ses yeux, dans son sourire, mais elle n’avait pas la force de la dissimuler.

Anna crut sincèrement d’abord être mécontente de l’espèce de persécution que Wronsky se permettait à son égard ; mais, un soir qu’elle vint dans une maison où elle pensait le rencontrer, et qu’il n’y parut pas, elle comprit clairement, à la douleur qui s’empara de son cœur, combien ses illusions étaient vaines et combien cette obsession, loin de lui déplaire, formait l’intérêt dominant de sa vie.

Une cantatrice célèbre chantait pour la seconde fois, et toute la société de Pétersbourg était à l’Opéra ; Wronsky y aperçut sa cousine et, sans attendre l’entr’acte, quitta le fauteuil qu’il occupait pour monter à sa loge.

« Pourquoi n’êtes-vous pas venu dîner ? — lui demanda-t-elle ; puis elle ajouta à demi voix en souriant, et de façon à n’être entendue que de lui : — J’admire la seconde vue des amoureux, elle n’était pas là, mais revenez après l’Opéra. »

Wronsky la regarda comme pour l’interroger, et