Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/305

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prendre en acompte. Sa vente était conclue, il tenait l’argent en portefeuille ; la chasse avait été bonne ; il était donc parfaitement heureux et content et aurait voulu distraire son ami de la tristesse qui l’envahissait ; une journée si bien commencée devait se terminer de même.

Mais Levine, quelque désir qu’il eût de se montrer aimable et prévenant pour son hôte, ne pouvait chasser sa méchante humeur ; l’espèce d’ivresse qu’il éprouva en apprenant que Kitty n’était pas mariée fut de courte durée. Pas mariée et malade ! malade d’amour peut-être pour celui qui la dédaignait ! c’était presque une injure personnelle. Wronsky n’avait-il pas en quelque sorte acquis le droit de le mépriser, lui, Levine, puisqu’il dédaignait celle qui l’avait repoussé ! C’était donc un ennemi. Il ne raisonnait pas cette impression, mais se sentait blessé, froissé, mécontent de tout, et particulièrement de cette absurde vente de forêt qui s’était faite sous son toit, sans qu’il pût empêcher Oblonsky de se laisser tromper.

« Eh bien ! est-ce fini ? dit-il en venant au-devant de Stépane Arcadiévitch ; veux-tu souper ?

— Ce n’est pas de refus. Quel appétit on a à la campagne. C’est étonnant ! Pourquoi n’as-tu pas offert un morceau à Rébenine ?

— Que le diable l’emporte !

— Sais-tu que ta manière d’être avec lui m’étonne ? Tu ne lui donnes même pas la main, pourquoi ?

— Parce que je ne la donne pas à mon domesti-