Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

glais, toujours sans ouvrir la bouche ; et de son pas dégingandé il se dirigea vers l’écurie ; un garçon de service en veste blanche, balai en main, propre et alerte, les introduisit. Cinq chevaux occupaient l’écurie, chacun dans sa stalle ; celui de Mahotine, le concurrent le plus sérieux de Wronsky, Gladiator, un alezan de cinq vershoks, devait être là. Wronsky était plus curieux de le voir que de voir son propre cheval, mais, selon les règles des courses, il ne devait pas se le faire montrer, ni même se permettre de questions à son sujet. Tout en marchant le long du couloir, le groom ouvrit la porte de la seconde stalle et Wronsky entrevit un vigoureux alezan aux pieds blancs. C’était Gladiator ; il le savait, mais se retourna aussitôt du côté de Frou-frou, comme il se fût détourné d’une lettre ouverte qui ne lui aurait pas été adressée.

« C’est le cheval de Mak…, Mak…, dit l’Anglais sans arriver à prononcer le nom, indiquant la stalle de Gladiator de ses doigts aux ongles crasseux.

— De Mahotine ? oui ; — c’est mon seul adversaire sérieux.

— Si vous le montiez, je parierais pour vous, dit l’Anglais.

— Frou-frou est plus nerveuse, celui-ci plus solide, répondit Wronsky en souriant de l’éloge du jockey.

— Dans les courses avec obstacles, tout est dans l’art de monter, dans le pluck », dit l’Anglais.

Le pluck, c’est-à-dire l’audace et le sang-froid.