Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/338

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vons, vous ne pouvez rester dans cette situation, surtout à présent.

— Que faudrait-il faire selon vous ? — demanda-t-elle avec la même ironie railleuse. Elle qui avait craint si vivement de lui voir accueillir sa confidence avec légèreté, était mécontente maintenant qu’il en déduisît la nécessité absolue d’une résolution énergique.

— Avouez tout, et quittez-le.

— Supposons que je le fasse, savez-vous ce qu’il en résultera ? Je vais vous le dire : — et un éclair méchant jaillit de ses yeux tout à l’heure si tendres. « Ah vous en aimez un autre et avez une liaison criminelle ? dit-elle en imitant son mari et appuyant sur le mot criminelle comme lui. Je vous avais avertie des suites qu’elle aurait au point de vue de la religion, de la société et de la famille. Vous ne m’avez pas écouté, maintenant je ne puis livrer à la honte mon nom, et… » — elle allait dire mon fils, mais s’arrêta, car elle ne pouvait plaisanter de son fils. — En un mot, il me dira nettement, clairement, sur le ton dont il discute les affaires d’État, qu’il ne peut me rendre la liberté, mais qu’il prendra des mesures pour éviter le scandale. C’est là ce qui se passera, car ce n’est pas un homme, c’est une machine et, quand il se fâche, une très méchante machine. »

Et elle se rappela les moindres détails du langage et de la physionomie de son mari, prête à lui reprocher intérieurement tout ce qu’elle pouvait trouver