Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/339

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en lui de mal, avec d’autant moins d’indulgence qu’elle se sentait plus coupable.

« Mais Anna, dit Wronsky avec douceur, dans l’espoir de la convaincre et de la calmer, il faut d’abord tout avouer, et ensuite nous agirons selon ce qu’il fera.

— Alors il faudra s’enfuir ?

— Pourquoi pas ? Je ne vois pas la possibilité de continuer à vivre ainsi ; il n’est pas question de moi, mais de vous qui souffrez.

— S’enfuir ! et devenir ostensiblement votre maîtresse ! dit-elle méchamment.

— Anna ! s’écria-t-il peiné.

— Oui, votre maîtresse et perdre tout… » Elle voulut encore dire mon fils, mais ne put prononcer ce mot.

Wronsky était incapable de comprendre que cette forte et loyale nature acceptât la situation fausse où elle se trouvait, sans chercher à en sortir ; il ne se doutait pas que l’obstacle était ce mot « fils » qu’elle ne pouvait se résoudre à articuler.

Quand Anna se représentait la vie de cet enfant avec le père qu’elle aurait quitté, l’horreur de sa faute lui paraissait telle, qu’en véritable femme elle n’était plus en état de raisonner, et ne cherchait qu’à se rassurer et à se persuader que tout pourrait encore demeurer comme par le passé ; il fallait à tout prix s’étourdir, oublier cette affreuse pensée : « que deviendra l’enfant ? »

« Je t’en supplie, je t’en supplie, dit-elle tout à