Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/344

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tomber la bride de son étalon gris pommelé, essoufflé et trempé de sueur.

L’étalon, raidissant péniblement les jarrets, arrêta avec difficulté sa course rapide ; l’officier, comme au sortir d’un rêve, regardait autour de lui et souriait avec effort. Une foule d’amis et de curieux l’entoura.

C’était à dessein que Wronsky évitait le monde élégant qui circulait tranquillement en causant, autour de la galerie ; il avait déjà aperçu Anna, Betsy et la femme de son frère, et ne voulait pas s’approcher d’elles, pour éviter toute distraction. Mais à chaque pas il rencontrait des connaissances qui l’arrêtaient au passage et lui racontaient quelques détails de la dernière course, ou lui demandaient la cause de son retard.

Pendant qu’on distribuait les prix dans le pavillon, et que chacun se dirigeait de ce côté, Wronsky vit approcher son frère Alexandre ; comme Alexis, c’était un homme de taille moyenne et un peu trapu ; mais il était plus beau, quoiqu’il eût le visage très coloré et un nez de buveur ; il portait l’uniforme de colonel avec des aiguillettes.

« As-tu reçu ma lettre ? dit-il à son frère, — on ne te trouve jamais. »

Alexandre Wronsky, malgré sa vie débauchée et son penchant à l’ivrognerie, fréquentait exclusivement le monde de la cour. Tandis qu’il causait avec son frère d’un sujet pénible, il savait garder la physionomie souriante d’un homme qui plaisanterait