Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/353

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toujours le même galop régulier et la respiration précipitée mais nullement fatiguée de l’étalon.

Les deux obstacles suivants, le fossé et la barrière, furent aisément franchis, mais le galop et le souffle de Gladiator se rapprochaient ; Wronsky força le train de Frou-frou et sentit avec joie qu’elle augmentait facilement sa vitesse ; le son des sabots de Gladiator s’éloignait.

C’était lui maintenant qui menait la course comme il l’avait souhaité, comme le lui avait recommandé Cord ; il était sûr du succès. Son émotion, sa joie et sa tendresse pour Frou-frou allaient toujours croissant. Il aurait voulu se retourner, mais n’osait regarder derrière lui, et cherchait à se calmer et à ne pas surmener sa monture. Un seul obstacle sérieux, la banquette irlandaise, lui restait à franchir ; si, l’ayant dépassé, il était toujours en tête, son triomphe devenait infaillible. Lui et Frou-frou aperçurent la banquette de loin, et tous deux, le cheval et le cavalier, éprouvèrent un moment d’hésitation. Wronsky remarqua cette hésitation aux oreilles de la jument, et levait déjà la cravache, lorsqu’il comprit à temps qu’elle savait ce qu’elle devait faire. La jolie bête prit son élan, et, comme il le prévoyait, s’abandonna à la vitesse acquise qui la transporta bien au-delà du fossé ; puis elle reprit sa course en mesure et sans effort, sans avoir changé de pied.

« Bravo, Wronsky ! » crièrent des voix. Il savait que ses camarades et ses amis se tenaient près de