Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/403

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec crainte, en remarquant un éclair ironique dans les yeux de son père.

— J’ai connu son mari, et je l’ai un peu connue elle-même, avant qu’elle se fût enrôlée dans les piétistes.

— Qu’est-ce que ces piétistes, papa ? demanda Kitty, inquiète de voir donner un nom à ce qui lui paraissait d’une si haute valeur en Mme Stahl.

— Je n’en sais trop rien ; ce que je sais, c’est qu’elle remercie Dieu de tous les malheurs qui lui arrivent, y compris celui d’avoir perdu son mari, et cela tourne au comique quand on sait qu’ils vivaient fort mal ensemble… Qui est-ce ? Quelle pauvre figure ! — demanda-t-il en voyant un malade, en redingote brune, avec un pantalon blanc formant d’étranges plis sur ses jambes amaigries ; ce monsieur avait soulevé son chapeau de paille, et découvert un front élevé que la pression du chapeau avait rougi, et qu’entouraient de rares cheveux frisottants.

— C’est Pétrof, un peintre, — répondit Kitty en rougissant, — et voilà sa femme, ajouta-t-elle en montrant Anna Pavlovna, qui, à leur approche, s’était levée pour courir après un des enfants sur la route.

— Pauvre garçon ! il a une charmante physionomie. Pourquoi ne t’es-tu pas approchée de lui ? Il semblait vouloir te parler.

— Retournons vers lui, dit Kitty, en marchant résolument vers Pétrof… Comment allez-vous aujourd’hui ? » lui demanda-t-elle.