Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/495

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Ce point d’appui était Serge. Quelque situation qui lui fût imposée, elle ne pouvait abandonner son fils. Son mari pouvait la chasser, la couvrir de honte, Wronsky pouvait s’éloigner d’elle et reprendre sa vie indépendante (ici elle eut encore un sentiment d’amer reproche) : l’enfant ne pouvait être abandonné ; elle avait un but dans la vie : il fallait agir, agir à tout prix, pour sauvegarder sa position par rapport à son fils, se hâter, l’emmener, et pour cela se calmer, se délivrer de cette angoisse qui la torturait ; et la pensée d’une action ayant l’enfant pour but, d’un départ avec lui n’importe pour où, l’apaisait déjà.

Elle s’habilla vivement, descendit d’un pas ferme, et entra dans le salon où l’attendaient comme d’habitude pour déjeuner Serge et sa gouvernante.

Serge, vêtu de blanc, debout près d’une table, le dos voûté et la tête baissée, avait une expression d’attention concentrée qu’elle lui connaissait, et qui le faisait ressembler à son père ; il arrangeait les fleurs qu’il venait d’apporter.

La gouvernante avait un air sévère.

En apercevant sa mère, Serge poussa, comme il le faisait souvent, un cri perçant :

« Ah ! maman ! » puis il s’arrêta indécis, ne sachant s’il jetterait les fleurs pour courir à sa mère, ou s’il achèverait son bouquet pour le lui offrir.

La gouvernante salua et entama le récit long et circonstancié des forfaits de Serge ; Anna ne l’écoutait pas. Elle se demandait s’il faudrait l’emmener dans