Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/514

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— C’est ce qu’on peut faire de mieux, » dit Strémof en se mêlant à la conversation.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années, grisonnant, mais bien conservé ; laid, mais d’une laideur originale et spirituelle ; Lise Merkalof était la nièce de sa femme, et il passait auprès d’elle tous ses moments de loisir. Rencontrant Anna dans le monde, il chercha, en homme bien élevé, à se montrer particulièrement aimable pour elle, en raison même de ses mauvais rapports d’affaires avec son mari.

« Le meilleur des moyens est de ne rien faire, continua-t-il avec son sourire intelligent. — Je vous le répète depuis longtemps. Il suffit pour ne pas s’ennuyer de ne pas croire qu’on s’ennuiera : de même que si l’on souffre d’insomnie, il ne faut pas se dire que jamais on ne s’endormira. Voilà ce qu’a voulu vous faire comprendre Anna Arcadievna.

— Je serais ravie d’avoir effectivement dit cela, reprit Anna en souriant, car c’est mieux que spirituel, c’est vrai.

— Mais pourquoi, dites-moi, est-il aussi difficile de s’endormir que de ne pas s’ennuyer ?

— Pour dormir, il faut avoir travaillé, et pour s’amuser aussi.

— Quel travail pourrais-je bien faire, moi dont le travail n’est bon à personne ? Je pourrais faire semblant, mais je ne m’y entends pas, et ne veux pas m’y entendre.

— Vous êtes incorrigible », dit Strémof en s’adressant encore à Anna. Il la rencontrait rarement et ne