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XXIII


La commission du 2 juin siégeait généralement le lundi. Alexis Alexandrovitch entra dans la salle, salua, comme d’ordinaire, le président et les membres de la commission, et s’assit à sa place, posant la main sur les papiers préparés devant lui, parmi lesquels se trouvaient ses documents particuliers et ses notes sur la proposition qu’il comptait soumettre à ses collègues. Au reste, les notes était superflues, car non seulement rien ne lui échappait de ce qu’il avait préparé, mais il se croyait encore tenu de repasser au dernier moment dans sa mémoire les sujets qu’il voulait traiter. Il savait d’ailleurs que l’instant venu, lorsqu’il se verrait en face de son adversaire qui chercherait à prendre une physionomie indifférente, la parole lui viendrait d’elle-même, avec toute la netteté nécessaire, et que chaque mot porterait. En attendant, il écoutait la lecture du rapport habituel de l’air le plus innocent, le plus inoffensif. Personne n’aurait pensé, en voyant cet homme à la tête penchée, à l’aspect fatigué, palpant doucement de ses mains blanches, aux veines légèrement gonflées, aux doigts longs et maigres, les bords du papier blanc posé devant lui, que, quelques minutes après, ce même homme allait prononcer un discours qui soulèverait une véritable tempête, obligerait les membres de la commission à crier plus fort les