Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/572

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Quel besoin avez-vous de tant vous préoccuper d’eux ?

— Ce n’est pas d’eux que je me préoccupe, mais de moi-même. »

Agathe Mikhaïlowna connaissait en détail tous les projets de son maître, car il les lui avait expliqués, et s’était souvent disputé avec elle ; mais en ce moment elle interpréta ses paroles dans un sens différent de celui qu’il leur donnait.

« On doit certainement penser à son âme avant tout, dit-elle en soupirant. Parfene Denisitch, par exemple, avait beau être ignorant, ne savoir ni lire ni écrire, Dieu veuille nous faire à tous la grâce de mourir comme lui, confessé, administré !

— Je ne l’entends pas ainsi, répondit Levine ; ce que je fais est dans mon intérêt : si les paysans travaillent mieux, j’y gagnerai.

— Vous aurez beau faire, le paresseux restera toujours paresseux, et celui qui aura de la conscience travaillera ; vous ne changerez rien à cela.

— Cependant vous êtes d’avis vous-même qu’Ivan soigne mieux les vaches ?

— Ce que je dis et ce que je sais, répondit la vieille bonne, suivant évidemment une idée qui chez elle n’était pas nouvelle, c’est qu’il faut vous marier : voilà ce qu’il vous faut. »

Cette observation, venant à l’appui des pensées qui s’étaient emparées de lui, froissa Levine ; il fronça le sourcil, et, sans répondre, se remit à travailler ; de temps en temps, il écoutait le petit tinte-