Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/101

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et le sien » Mais votre mari doit être au-dessus de cela, disait Betsy.

— Il n’est pas question de mon mari, mais de moi, ne m’en parlez plus ! répondait la voix émue d’Anna.

— Cependant vous ne pouvez pas ne pas désirer revoir celui qui a failli mourir pour vous…

— C’est pour cela que je ne veux pas le revoir. »

Karénine s’arrêta effrayé comme un coupable ; il aurait voulu s’éloigner sans être entendu ; mais, réfléchissant que cette fuite manquait de dignité, il continua son chemin en toussant : les voix se turent et il entra dans la chambre.

Anna en robe de chambre grise, ses cheveux noirs coupés, était assise sur une chaise longue. Toute son animation disparut, comme d’ordinaire, à la vue de son mari ; elle baissa la tête et jeta un coup d’œil inquiet sur Betsy ; celle-ci, vêtue à la dernière mode, un petit chapeau planant sur le haut de sa tête, comme un abat-jour sur une lampe, en robe gorge de pigeon, ornée de biais de nuance tranchante sur le corsage et la jupe, était placée à côté d’Anna. Elle tenait sa longue taille plate aussi droite que possible, et accueillit Alexis Alexandrovitch d’un salut accompagné d’un sourire ironique :

« Ah ! fit-elle, l’air étonné. Je suis ravie de vous rencontrer chez vous. Vous ne vous montrez nulle part, et je ne vous ai pas vu depuis la maladie d’Anna. J’ai appris par d’autres vos soucis ! Oui, vous êtes un mari extraordinaire ! » Elle lui adressa un regard qui devait être l’équivalent d’une récom-