Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/359

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rêtant et forçant Dolly à en faire autant, et vous l’admettrez aisément si vous me faites l’honneur de croire que je ne manque pas de cœur.

— Certainement ; mais ne vous exagérez-vous pas ces difficultés ? dit Dolly, touchée de la sincérité avec laquelle il lui parlait : dans le monde cela peut être pénible…

— C’est l’enfer ! Rien ne peut vous donner l’idée des tortures morales qu’a subies Anna à Pétersbourg.

— Mais ici ? et puisque ni elle ni vous n’éprouvez le besoin d’une vie mondaine ?

— Quel besoin puis-je en avoir ! s’écria Wronsky avec mépris.

— Vous vous en passez facilement et vous en passerez peut-être toujours ; quant à Anna, d’après ce qu’elle a eu le temps de me dire, elle se trouve parfaitement heureuse. » Et, tout en parlant, Dolly fut frappée de l’idée qu’Anna avait pu manquer de franchise.

« Oui, mais ce bonheur durera-t-il ? dit Wronsky ; j’ai peur de ce qui nous attend dans l’avenir. Avons-nous bien ou mal agi ?… Le sort en est jeté, nous sommes liés pour la vie. Nous avons un enfant et pouvons en avoir d’autres, auxquels la loi réserve des sévérités qu’Anna ne veut pas prévoir, parce que, après avoir tant souffert, elle a besoin de respirer. Enfin ma fille est celle de Karénine ! dit-il en s’arrêtant devant un banc rustique où Dolly s’était assise…

— Qu’il me naisse un fils demain, ce sera tou-