Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/427

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« Ce que vous dites là caractérise également la littérature, reprit-elle, Zola, Daudet ; il en est peut-être toujours ainsi : on commence par rêver des types imaginaires, un idéal de convention, mais, les combinaisons faites, ces types paraissent ennuyeux et froids, et l’on retombe dans le naturel.

— C’est juste, dit Varkouef.

— Ainsi vous venez du club ? » dit Anna à son frère, se penchant vers lui pour lui parler à voix basse.

« Voilà une femme ! » pensa Levine absorbé dans la contemplation de cette physionomie mobile, qui en causant avec Stiva exprimait tour à tour la curiosité, la colère et la fierté ; mais l’émotion d’Anna fut passagère ; elle ferma les yeux à demi comme pour recueillir ses souvenirs, et, se tournant vers la petite Anglaise :

« Please, order the tea in the drawing-room », dit-elle.

L’enfant se leva et sortit.

« A-t-elle bien passé son examen ? demanda Stépane Arcadiévitch.

— Parfaitement ; c’est une jeune fille pleine de moyens et d’un naturel charmant.

— Tu finiras par la préférer à ta propre fille.

— Voilà bien un jugement d’homme ! Peut-on comparer ces deux affections ? J’aime ma fille d’une façon, celle-ci d’une autre.

— Ah ! si Anna Arcadievna voulait dépenser au profit d’enfants russes la centième partie de l’activité qu’elle consacre à cette petite Anglaise, quels