Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/485

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— Je le recevrai probablement dans la journée, répondit le géant, remarquant qu’il était entré mal à propos. Quand partez-vous ?

— Après-demain, je pense, dit Wronsky.

— N’avez-vous jamais pitié de vos malheureux adversaires ? continua Anna s’adressant toujours au joueur.

— C’est une question que je ne me suis pas posée, Anna Arcadievna. Ma fortune tout entière est là, fit-il montrant sa poche ; mais, riche en ce moment, je puis être pauvre en sortant du club ce soir. Celui qui joue avec moi me gagnerait volontiers jusqu’à ma chemise : c’est cette lutte qui fait le plaisir.

— Mais si vous étiez marié, qu’en dirait votre femme ?

— Aussi bien, je ne compte pas me marier, répondit Yavshine en riant.

— Et vous n’avez jamais été amoureux ?

— Oh Seigneur ! combien de fois ! mais toujours de façon à ne pas manquer ma partie. »

Un amateur de chevaux, venant pour affaires, entra sur ces entrefaites, et Anna quitta la salle à manger.

Avant de sortir, Wronsky passa chez elle, et chercha quelque chose sur la table. Elle feignit de ne pas l’apercevoir, mais, honteuse de cette dissimulation :

« Que vous faut-il ? lui demanda-t-elle en français.

— Le certificat d’origine du cheval que je