Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/543

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je ne les ai trouvées ni fausses ni obscures,… je leur ai donné le même sens que ce paysan, et n’ai peut-être jamais rien compris aussi clairement.

« Fedor prétend que Mitiouck vit pour son ventre ; je sais ce qu’il entend par là ; nous tous, êtres de raison, nous vivons de même. Mais Fedor dit aussi qu’il faut vivre pour Dieu, selon la vérité, et je le comprends également… Moi, et des millions d’hommes, riches et pauvres, sages et simples, dans le passé comme dans le présent, nous sommes d’accord sur un point : c’est qu’il faut vivre pour le « bien ». – La seule connaissance claire, indubitable, absolue, que nous possédions est celle-là, – et ce n’est pas par le raisonnement que nous y parvenons, – car le raisonnement l’exclut, parce qu’elle n’a ni cause ni effet. Le « bien », s’il avait une cause, cesserait d’être le bien, tout comme s’il avait une sanction, – une récompense…

« Ceci, je le sais, nous le savons tous.

« Et moi qui cherchais un miracle pour me convaincre ? – Le voilà, le miracle, je ne l’avais pas remarqué, tandis qu’il m’enserre de toutes parts !… En peut-il être de plus grand ?…

« Aurais-je vraiment trouvé la solution de mes doutes ? Vais-je cesser de souffrir ? » et Levine suivit la route poudreuse, insensible à la fatigue et à la chaleur ; suffoqué par l’émotion, et n’osant croire au sentiment d’apaisement qui pénétrait son âme, il s’éloigna du grand chemin pour s’enfoncer dans les bois et s’y étendre à l’ombre d’un tremble, sur l’herbe touffue. – Là, découvrant