Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/545

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devait, sous peine de se suicider, arriver à s’expliquer le problème de l’existence, de façon à ne pas y voir la cruelle ironie de quelque génie malfaisant. Mais, sans réussir à se rien expliquer, il ne s’était pas tué, s’était marié, et avait connu des joies nouvelles, qui le rendaient heureux quand il ne creusait pas ces pensées troublantes.

« Que prouvait cette inconséquence ? Qu’il vivait bien, tout en pensant mal. Sans le savoir, il avait été soutenu par ces vérités de la foi sucées avec le lait, que son esprit méconnaissait. Maintenant il comprenait tout ce qu’il leur devait…

« Que serais-je devenu si je n’avais su qu’il fallait vivre pour Dieu, et non pour la satisfaction de mes besoins ? J’aurais volé, menti, assassiné… Aucune des joies que la vie me donne n’aurait existé pour moi… J’étais à la recherche d’une solution que la réflexion ne peut résoudre, n’étant pas à la hauteur du problème ; la vie seule, avec la connaissance innée du bien et du mal, m’offrait une réponse. Et cette connaissance, je ne l’ai pas acquise, je n’aurais su où la prendre, elle m’a été donnée comme tout le reste. Le raisonnement m’aurait-il jamais démontré que je devais aimer mon prochain au lieu de l’étrangler ? – Si, lorsqu’on me l’a enseigné dans mon enfance, je l’ai aisément cru, c’est que je le savais déjà. L’enseignement de la raison, c’est la lutte pour l’existence, cette loi qui exige que tout obstacle à l’accomplissement de nos désirs soit écrasé ; la déduction est logique, – tandis qu’il n’y a rien