Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/220

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dans le désert ou vivre en communauté, tout cela peut être provisoire, nécessaire aux hommes ; mais comme formes définitives, c’est erreur évidente et déraison.

Vivre d’une vie pure et sainte sur une colonne, ou en communauté, est impossible, parce que l’homme est privé d’une moitié de sa vie — la communion avec le monde — sans laquelle sa vie n’a pas de sens. Pour vivre toujours ainsi, il faut se tromper soi-même ; il est trop évident, en effet, que de même qu’il est impossible de séparer dans le courant d’un fleuve impur, par quelque procédé chimique, un petit cercle d’eau pure, de même il est impossible de vivre seul ou en société avec quelques-uns, comme des saints, parmi tout le monde qui vit dans la violence pour le lucre : il faut acheter ou louer la terre, la vache ; il faut entrer en rapport avec le monde extérieur, non chrétien. On ne peut s’en affranchir, et on ne le doit pas, de même qu’en général, on doit s’abstenir de ce qu’il ne faut pas faire. On ne peut que se tromper soi-même.

Toute l’œuvre d’un disciple du Christ consiste à établir les rapports les plus chrétiens avec ce monde.

Supposez que tous les hommes qui comprennent comme vous la doctrine de la vérité, se réunissent et s’installent ensemble sur une île :