Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/27

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par eux, et que, presque par toute la terre, c’est ainsi qu’on en use de temps immémorial ? » Le Sirien frémit, et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s’agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n’est pas qu’aucun de ces millions d’hommes qui se font égorger prétende un fêtu sur ce tas de boue. Il ne s’agit que de savoir s’il appartiendra à un certain homme qu’on nomme Sultan, ou à un autre qu’on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l’un ni l’autre n’a jamais vu et ne verra jamais le petit coin de terre dont il s’agit ; et presque aucun de ces animaux, qui s’égorgent mutuellement, n’a jamais vu l’animal pour lequel il s’égorge. »

— Ah ! malheureux ! s’écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ! Il me prend envie de faire trois pas, et d’écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d’assassins ridicules. — Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu’au bout de dix ans, il ne reste jamais la centième partie de ces misérables ; sachez que, quand même ils n’auraient pas tiré l’épée, la faim, la fatigue et l’intempérance les emportent presque tous. D’ailleurs, ce n’est pas eux qu’il faut punir, ce sont ces barbares sédentaires qui, du fond de leur cabinet, ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un million d’hommes, et qui en font remercier Dieu solennellement. » (Voltaire, Micromégas, 1750, ch. VII.)


La déraison des guerres modernes se nomme intérêt dynastique, nationalité, équilibre européen, honneur. Ce dernier motif est peut-être de tous le plus extrava-