Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/86

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Si un voyageur apercevait dans une île lointaine des hommes dont les maisons seraient entourées d’armes chargées et autour desquelles marcheraient jour et nuit des sentinelles, il ne pourrait ne pas penser que dans cette île ne vivent que des brigands. N’est-ce pas ce qui se passe dans les pays européens ! Combien peu d’influence sur les hommes a donc la religion, ou que nous sommes loin de la vraie religion ! (Lichtenberger.)


Je terminais cet article quand est venue la nouvelle de la perte de six cents vies innocentes, en face de Port-Arthur. Il semblerait que les souffrances inutiles et la mort de ces malheureux trompés, perdus en vain, dussent faire réfléchir ceux qui en sont cause. Je ne parle pas de Makarof et des autres officiers ; eux tous savent ce qu’ils font et pourquoi ils le font, et c’est de leur plein gré, pour des avantages, par ambition, déguisée soi le mensonge du patriotisme, mensonge qui n’est pas dénoncé, uniquement parce qu’il est général, qu’ils le font ; je parle de ces malheureux pris de différents points de la Russie. Arrachés, avec l’aide des tromperies religieuses et la crainte des châtiments, à leur vie honnête, raisonnable, utile, à leurs travaux, à leur famille, ils sont amenés à l’autre bout du monde et placés sur une machine cruelle et inepte de meurtre. Là, ils sont mis en pièces ou noyés, avec cette inepte