Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/375

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deviné et qu’elle devînt rouge comme une cerise, chaque fois qu’il paraissait ; il venait dîner presque tous les jours, et ne manquait jamais, ni un spectacle, ni les bals de demoiselles de Ioghel, lorsque les Rostow s’y trouvaient. Il témoignait à Sonia une attention marquée, et l’expression de ses yeux était telle que, non seulement Sonia n’en pouvait supporter le regard, mais que la vieille comtesse et Natacha rougissaient quand elles venaient à le surprendre.

Il était évident que cet homme étrange et énergique pliait et se soumettait à l’influence irrésistible exercée sur lui par cette brune et gracieuse fillette, qui cependant était éprise d’un autre que lui.

Rostow remarqua ces rapports entre elle et Dologhow, mais sans bien s’en rendre compte : « Ils sont tous amoureux de l’une d’elles », se disait-il, et, ne se sentant plus aussi à son aise dans ce milieu, il s’absenta très souvent de la maison paternelle.

On recommença, pendant ces mois d’automne, à causer de la guerre avec Napoléon, avec plus d’ardeur encore que par le passé. Il fut question d’un recrutement de dix sur mille, auquel s’ajoutaient neuf sur mille pour la milice. On lançait de tous côtés des anathèmes sur Bonaparte, et Moscou était plein de bruits de guerre. Quant à la famille Rostow, toute la part qu’elle prenait à ces préparatifs belliqueux se concentrait sur Nicolas, qui attendait l’expiration du congé de Denissow, pour retourner avec lui au régiment, après les fêtes. Ce départ prochain ne l’empêchait pas de s’amuser : il l’y excitait au contraire, et il passait la plus grande partie de son temps en dîners, en soirées et en bals.


XI

Le troisième jour de Noël, les Rostow donnèrent un dîner d’adieux quasi officiel en l’honneur de Denissow et de Nicolas, qui partaient après les Rois. Parmi les vingt convives se trouvait Dologhow.

Les courants électriques et passionnés, qui régnaient dans la maison, n’avaient jamais été aussi sensibles que pendant ces derniers jours : « Saisis au vol les fugitifs éclairs de bon-