Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/19

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— Je vous ferai observer, mon très cher, que j’ai lu votre mémoire, dit Araktchéïew en l’interrompant, et ne prononçant avec politesse que les deux premiers mots, pour reprendre immédiatement après son ton méprisant et grondeur. Vous proposez de nouvelles lois militaires ? Il y en a beaucoup d’anciennes, et personne ne les exécute… Aujourd’hui on ne fait qu’en écrire, c’est plus facile.

— C’est d’après la volonté de Sa Majesté l’Empereur que je suis venu demander à Votre Excellence ce qu’elle compte faire de mon mémoire.

— Je l’ai envoyé au comité, en y ajoutant mon opinion… je ne l’approuve pas, poursuivit-il en se levant ; et, prenant un papier sur la table, il le remit au prince André : — Voilà ! »

En travers de la feuille était écrit au crayon, sans orthographe, et sans ponctuation aucune : « Pas de base logique, copié sur le code militaire français, diffère sans motif du règlement militaire ! »

« Dans quel comité va-t-il être examiné ?

— Dans le comité chargé de la révision du code militaire, et j’ai présenté Votre Noblesse pour y être inscrite comme membre, mais sans appointements. »

Le prince André sourit :

« Je n’aurais pas accepté autrement.

— Membre sans appointements, vous entendez bien… j’ai l’honneur… Eh ! qu’y a-t-il là-bas encore ? » cria-t-il en le congédiant.


V

En attendant la nouvelle officielle de sa nomination comme membre du comité, le prince André renouvela connaissance avec les personnes au pouvoir qui pouvaient lui être utiles. Une curiosité inquiète et irrésistible, analogue à celle qui s’emparait de lui la veille d’une bataille, l’entraînait vers les sphères élevées, où se combinaient les mesures qui devaient avoir une si grande influence sur le sort de millions d’êtres ; il devinait, à l’irritation des vieux, aux efforts de ceux qui brûlaient du désir de savoir ce qui se passait, à la réserve des initiés, à l’agitation soucieuse de tous, au nombre infini de comités et de