Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/390

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dérangées ? Le comte est un imbécile : les Razoumovsky lui ont proposé d’acheter la maison et le bien de Moscou, et l’affaire traîne en longueur parce qu’il en demande un prix trop élevé.

— Il me semble pourtant, dit quelqu’un, que la vente va être conclue, quoique ce soit, à l’heure qu’il est, une vraie folie d’acheter des maisons.

— Pourquoi ? demanda Julie ; croyez-vous que Moscou soit en danger ?

— Mais alors pourquoi partez-vous ?

— Moi ? voilà qui est étrange… Je pars parce que tout le monde s’en va, et puis je ne suis ni une Jeanne d’Arc ni une amazone !

— Si le comte Rostow, reprit le milicien, sait s’arranger, il pourra liquider toutes ses dettes… C’est un brave homme, mais un pauvre sire… Qu’est-ce qui les retient ici si longtemps ? Je les croyais partis pour la campagne.

— Nathalie s’est complètement remise, n’est-il pas vrai ? demanda Julie en s’adressant à Pierre avec un malicieux sourire.

— Ils attendent leur fils cadet, qui est entré au service comme cosaque, et qui a été envoyé à Biélaïa-Tserkow ; on l’a maintenant inscrit dans mon régiment… Le comte serait parti malgré cela, mais la comtesse n’y consent pas avant d’avoir revu son fils.

— Je les ai rencontrés, il y a trois jours, chez les Arharow. Nathalie est fort embellie et de très bonne humeur, reprit Julie… Elle a chanté une romance… Comme tout s’efface vite chez certaines personnes !

— Qu’est-ce qui s’efface ? » demanda Pierre, dépité.

Julie sourit.

« Vous savez fort bien, comte, que les chevaliers comme vous ne se rencontrent que dans les romans de Mme de Souza.

— Quels chevaliers ? je ne comprends pas, dit Pierre en rougissant.

— Oh ! oh ! comte, ne me dites pas cela, tout Moscou connaît l’histoire ; je vous admire, ma parole d’honneur !

— À l’amende ! à l’amende ! s’écria le milicien.

— Bien ! bien ! repartit Julie impatientée, on ne peut donc plus causer à présent… mais vous le savez, comte, vous le savez…

— Je ne sais rien, dit Pierre de plus en plus irrité.