Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/206

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entre les brebis, mais des hommes comme nous tous, qui n’aiment pas plus que nous à commettre des crimes. Nous savons aujourd’hui que les menaces et les châtiments ne peuvent pas faire diminuer le nombre de ces hommes, et qu’il ne sera diminué que par le changement de milieu et l’influence morale. De sorte que la protection de l’état contre les violents, si elle était nécessaire il y a trois ou quatre siècles, ne l’est plus aujourd’hui. Maintenant c’est plutôt le contraire qui est vrai : l’action du gouvernement avec ses moyens cruels de coercition, en retard sur l’état de notre civilisation, tels que les prisons, les bagnes, la potence, la guillotine, concourt à la barbarie des mœurs bien plus qu’à leur adoucissement et, par suite, augmente plutôt qu’il ne diminue le nombre des violents.

« Sans l’état, nous dit-on, nous n’aurions eu ni religion, ni éducation, ni industrie, ni commerce, ni voies de communication, ni autres institutions sociales. »

Sans l’état, nous n’aurions pu organiser les institutions qui nous sont nécessaires à tous. Mais cet argument aurait pu avoir quelque valeur il y a aussi quelques siècles. S’il y a eu un temps où les hommes étaient si peu communicatifs, et où les moyens de se rapprocher et d’échanger des idées manquaient tellement qu’on ne pouvait s’accorder pour aucun effort commercial, industriel ou économique sans un centre d’état, ces obstacles ont disparu. Les voies de communication si largement développées et l’échange des idées ont fait que, pour la formation des sociétés, des corporations, des congrès, des institutions économiques et politiques, les hommes de notre temps non seulement peuvent se passer des gouvernements, mais le plus souvent sont gênés par l’état, qui les empêche plutôt qu’il ne les aide dans la réalisation de leurs projets.