Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/255

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Les ennemis révolutionnaires luttent extérieurement contre le gouvernement, tandis que les chrétiens, sans lutte, détruisent intérieurement tous les principes sur lesquels est basé l’état.

Dans le peuple russe, où, surtout depuis Pierre Ier, la protestation du christianisme contre l’état n’a jamais cessé ; dans le peuple russe où l’organisation sociale est telle que les hommes s’en vont par communautés en Turquie, en Chine, dans des contrées inhabitées et que, loin de sentir la nécessité d’un gouvernement, ils l’envisagent toujours comme une charge inutile qu’on supporte seulement, qu’il soit turc, russe ou chinois ; dans le peuple russe l’affranchissement chrétien de la soumission au gouvernement se produit en ces derniers temps par cas isolés de plus en plus fréquents. Ces manifestations sont d’autant plus dangereuses pour le gouvernement que les manifestants appartiennent souvent aux classes moyennes et supérieures et qu’ils expliquent leur refus, non plus par une religion mystique et sectaire comme autrefois, en l’accompagnant de pratiques superstitieuses et fanatiques, ainsi que le font les « suicidés par le feu » ou les bégouny, mais le motivent en s’appuyant sur les vérités les plus simples, comprises et reconnues de tous.

Ainsi on refuse de payer l’impôt, parce qu’il est employé à des actes de violence. On refuse de prêter serment, parce que promettre d’obéir aux autorités, c’est-à-dire à des hommes qui emploient la violence, est contraire au sens de la doctrine chrétienne, et que, dans tous les cas, c’est défendu par l’Évangile. On refuse les fonctions de police, parce qu’il est interdit au chrétien d’employer la violence contre ses frères. On refuse de participer à la justice, parce qu’elle accomplit la loi de la vengeance, inconciliable avec la loi du pardon