Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/327

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Aussitôt Sidorov entré, le garde s’approche de lui et le place sous la toise en lui relevant brusquement le menton, et lui arrange les pieds. L’homme à la cigarette s’approche, — c’est le médecin, — et, sans le regarder en face, il palpe avec répugnance le corps du conscrit, le mesure, l’ausculte, lui fait ouvrir la bouche par le garde, le fait respirer, parler. Quelqu’un écrit quelque chose. Enfin, sans l’avoir regardé une seule fois en face, il dit : « Bon ! au suivant. » Et, l’air fatigué, il se rassied.

De nouveau le soldat pousse le jeune homme, le hâte. Celui-ci remet rapidement sa chemise, tant bien que mal, ne trouvant pas l’ouverture des manches, boutonne précipitamment son pantalon, remet ses bottes, cherche son écharpe, son bonnet, met sa pelisse sous le bras, et on le ramène dans la salle du conseil en le séparant des autres par un banc. Là attendent les conscrits reconnus bons pour le service. Un jeune homme, paysan comme lui, mais d’une province éloignée, déjà soldat, armé d’un fusil avec une baïonnette au bout, le surveille, prêt à le transpercer si l’idée lui venait de fuir.

Cependant la foule des pères, des mères et des femmes, poussée par le sergent de ville, se presse à la porte, anxieuse de savoir qui est déclaré bon, qui est sauf. Sort un réformé qui déclare que Petr est pris, et, au même moment, on entend un cri de la jeune femme de Petr pour laquelle ce mot « pris » signifie séparation pour quatre ou cinq ans, la vie de femme de soldat comme domestique, dans la débauche.

Mais voilà qu’à ce moment arrive en voiture un homme aux cheveux longs et revêtu d’un costume qui le distingue des autres ; il s’approche de la porte de la mairie. Le sergent de ville lui ménage un passage à travers la foule. C’est le « père » qui est arrivé pour