Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/59

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censure ayant interdit le livre, interdisait également tout article en sa faveur.

Chose remarquable, chez nous, où l’on ne peut dire un mot des saintes Écritures sans que la censure n’intervienne, ce précepte du Christ, nettement et formellement exprimé (Mathieu, V, 39), a été, pendant plusieurs années, interprété faussement, critiqué, condamné et ridiculisé dans toutes les revues.

Les critiques laïques russes, ignorant visiblement ce qui a été fait relativement à l’examen de la question de la non-résistance au mal par la violence, et parfois même paraissant supposer que j’ai inventé personnellement cette règle, l’attaquaient, la faussaient et la réfutaient avec plus de chaleur encore. Ils mettaient en avant des arguments examinés et réfutés depuis longtemps sous toutes leurs faces, pour prouver que l’homme doit nécessairement défendre (par la violence) tous les faibles et tous les opprimés, et que, par suite, la doctrine de la non-résistance au mal est une doctrine immorale.

Pour les critiques russes, toute la portée de la prédication du Christ apparaît comme un prétendu empêchement volontaire d’une certaine action dirigée contre ce qu’il considérait alors comme un mal. De sorte que le principe de la non-résistance au mal par la violence a été attaqué de deux camps opposés : par les conservateurs, parce que ce principe eût empêché la résistance au mal fait par les révolutionnaires, leur persécution et leur exécution ; et par les révolutionnaires, parce que ce principe empêchait la résistance au mal fait par les conservateurs et leur renversement. Les conservateurs s’indignaient de ce que la doctrine de la non-résistance empêchait de comprimer énergiquement les éléments révolutionnaires pouvant compromettre le bien-être de la nation ; les révolutionnaires s’indignaient de ce que